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Au bout d’un projet libre : l’idée (1 / 4)

Lancer un projet libre ? Vous y avez forcément déjà pensé, et vous avez peut-être même déjà créé un dépôt avec un peu de code dedans. Évidemment, après quelques semaines d’une passion fiévreuse, il est un peu tombé dans l’oubli… Comment font tous ces gens qui y arrivent ?

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Cet article fait partie d’une série de 4 articles enthousiastes sur la création de projets libres :

  1. L’idée
  2. Le plan
  3. Le code
  4. La suite

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Un projet libre, pour quoi faire ?

Créer un projet libre, avec des utilisateurs et une petite communauté, c’est difficile. On a beau mettre toute son énergie et toute son envie, on arrive rarement à ses fins.

Déjà… Arriver à dépasser l’esquisse, le fichier de quelques dizaines ou centaines de lignes, c’est une étape qui peut sembler inaccessible. Et puis, pour être parfaitement franc : démarrer, déjà, c’est dur.

Toutes les raisons sont bonnes pour ne pas aller au bout : ce logiciel est nul, il ne sert à rien, je ne sais pas coder, les autres codent mieux que moi, je n’ai jamais fait de libre, je n’ai pas de temps, j’ai déjà tout ce qu’il me faut… On les connait, ces excuses, et pour cause : on les a toutes déjà utilisées personnellement.

L’envie

Là, c’est différent. Vous avez en vous l’envie d’aller au bout. Quelque part en vous, vous le sentez : c’est le moment.

L’envie de faire un projet libre, c’est un peu la condition sine qua non pour faire ce projet libre. Ça peut paraître évident, mais ça ne l’est pas forcément quand on y regarde de plus près. Il arrive souvent d’écrire du code parce qu’on y est contraint, que ce soit un petit script pour automatiser quelque chose sur son ordinateur ou pour corriger un bug dans un programme qu’on utilise. Sous contrainte, ce n’est sans doute pas la peine de se lancer dans quelque chose de durable. Ça ne fonctionnera pas.

L’envie, c’est ce qu’il vous restera quand il ne vous restera plus rien. Et au début, on n’a souvent que cela. L’envie. Alors partez de cela, c’est déjà très bien.

L’envie, ce n’est ni la compétence, ni la légitimité, ni le besoin. L’envie, c’est quelque chose qui doit dépasser les peurs et les craintes. Elle n’a pas besoin de justification. Laissez donc ces doutes loin de votre tête, personne n’est là pour vous regarder pour l’instant. Cette arme est suffisante, vous n’avez pas besoin d’autre chose, et ceux qui vous diront le contraire seront des oiseaux de mauvais augure. Vous y compris.

Oui, c’est un travail qui peut être considérable pour certaines et pour certains. Mais ne vous inquiétez pas : nous sommes entre nous. Vous pouvez avoir confiance en vous.

L’idée

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Le XKCD obligatoire. Vous avez eu toutes ces idées avant tout le monde. Un système d’exploitation libre ? Votre idée. Une suite bureautique libre ? Votre idée aussi. C’est insupportable, tous ces gens qui volent ce qui traîne dans votre tête.

L’idée, c’est la grande star du storytelling. « Je me suis réveillé un matin de juillet, et je me suis dit, en regardant la tranquille mer monégasque s’étendre à l’horizon, que créer mon entreprise de location de yachts en or massif était l’idée disruptive qui allait fonder ma fortune ». Gros plan sur la chevelure d’un trentenaire en chemise un peu ouverte. « Ce n’est pas donné à tout le monde d’avoir une idée brillante comme ça. C’est pour ça que je suis millionaire. Une idée comme ça, c’est du travail, vous savez. Je me suis fait tout seul, sans personne, à part ma mère banquière d’affaires qui m’a filé un petit coup de main au début ».

Vous voulez un avis personnel tranché ? L’idée ne sert à rien. Vous n’avez pas d’idée de projet ? Tant mieux. On va faire sans.

Des projets qui manquent, à vous, à d’autres, il y en a des pelles, des montagnes, des torrents. Tous ces projets propriétaires qui n’existent pas en libre. Tous ces projets libres dont l’interface vous gonfle. Tous ces projets en ligne de commande qui seraient mieux avec une fenêtre et quelques boutons. Tous ces projets en ligne qui seraient mieux avec un client lourd. Tous ces clients lourds qui seraient mieux en ligne.

Et plus généralement : tous ces logiciels sur lesquels vous aimeriez changer deux ou trois trucs.

Bien sûr, vous pouvez également contribuer à des projets libres existants. Mais si vous sentez que vous feriez tout un peu autrement, si vous avez l’impression que l’organisation globale de cette interface mériterait d’être revue de fond en comble, en bref : si l’envie est trop forte, alors laissez-là vous envahir. Créez un projet.

Créer un projet, c’est souvent prendre les bonnes idées des autres et y ajouter un petit grain de sel personnel. Pas besoin de tout réinventer, parce qu’une bonne partie existe déjà. Vous pouvez même reprendre du code si la licence vous le permet. C’est fait pour. C’est pour ça que le libre est libre : il vous permet d’apprendre en copiant. Il n’y a pas de honte à cela.

Allez, on commence.

Le grand secret

Une bibliothèque avec un passage secret
C’est un secret qui se transmet de génération en génération. Il reste à l’abri de l’air et de la lumière dans cette grande cave derrière de vieux grimoires que mes ancêtres, et leurs ancêtres avant eux, ont fait semblant de lire pour se donner un style dans les soirées mousse entre amis. Celles qu’on ne peut plus faire à cause de vous-savez-quoi. Mouais. Je vais peut-être lire tout ça, finalement.

Comment savoir si notre projet est un bon projet ? Pas facile… Pourtant, il existe une technique secrète qui peut vous donner quelques indications sur le degré de coolitude de votre création.

Cette technique secrète, c’est de répondre à la question « Quand est-ce que vous utiliserez régulièrement votre projet ? » Si la réponse est « Dans pas très longtemps », alors vous partez sur une base carrément solide. Et sinon, il va falloir réfléchir un peu plus.

Pourquoi cette technique fonctionne ? Parce que si vous utilisez votre logiciel rapidement, vous vous assurez d’un seul coup :

  1. que c’est utile ;
  2. que vous aurez envie de l’améliorer, assez pour qu’il soit sympa à utiliser ;
  3. que vous corrigerez les bugs les plus importants ;
  4. que vous aurez un intérêt à le maintenir.

Toutes ces raisons-là sont des indicateurs assez pertinents du développement et de la longévité d’un projet.

Voilà, c’est tout.

Si votre réponse est un peu différente ? Alors là, ça dépend. Si vous pensez que vous l’utiliserez dans longtemps, parce que cela nécessite beaucoup, beaucoup de travail avant d’être utilisable, alors il vous faudra de la patience. Si vous avez peur d’utiliser un autre logiciel par facilité, même après avoir écrit un logiciel utilisable (mais moins bien), il vous faudra un peu de discipline. Si vous pensez que vous ne l’utiliserez qu’une fois, alors il n’a peut-être pas intérêt à devenir un projet libre utilisable par tous et maintenu.

Enfin, si vous ne l’utiliserez jamais, alors c’est autre chose qu’un projet libre. Ce peut être une bonne chose pour apprendre, pour se former, pour découvrir. Ce peut être un essai, une tentative qui finira vite dans la corbeille. Mais ça risque de ne jamais être un vrai projet libre.

L’aventure

Lancez-vous dans cette aventure dont vous êtes l’héroïne ou le héros. Pour toute aventure il y a les premiers pas, les premières lignes. Tous les logiciels ont commencé comme cela.

Ce n’est pas la peine de réfléchir à une analyse sociologique ou scientifique de votre projet. La tentation est grande, même après avoir passé avec succès l’épreuve ardue du grand secret, de trouver de bonnes raisons de se laisser gagner par la procrastination. Et pour cela, vous rencontrerez la tentation de questions plus métaphysiques les unes que les autres. Qui suis-je pour me permettre de créer ? Que vaux-je par rapport à toutes ces créations géniales ? À quoi sert-il de refaire un projet déjà fait mille fois ? Ma contribution sera-t-elle réellement déterminante dans l’histoire de l’humanité ? De l’univers ? D’ailleurs, l’univers existe-t-il réellement ?

Laissez les autres répondre à ces questions pour vous. Vous avez plus important à faire : créer un projet.

Ça y est. Vous avez envie de créer un dépôt et de vous jeter sur le code. Halte là ! Ça vaut le coup de se pencher sur quelques questions techniques auparavant. Et comme la vie est bien faite, c’est le sujet de notre prochain article